LE PÈRE TANGUY dans la révolte impressionniste
L’injuste oubli
Suite à l’invitation d’une équipe de réalisation japonaise préparant le film
Le Japon rêvé de Van Gogh, j’ai été amené à m’intéresser à la vie du Père Tanguy. Parmi la très grande production de Van Gogh, les portraits de Julien Tanguy sont les seuls à bénéficier d’un décor d’estampes japonaises. Mes interlocuteurs espéraient que je contribue à éclairer cette surprenante présence. Peintre et lointain descendant de la famille Tanguy, mon parcours artistique atypique et mon expérience du monde de la peinture pouvaient les aider. Du Père Tanguy, le monde de l’art a conservé l’image sympathique laissée par la petite biographie d’Émile Bernard, longtemps restée le seul témoignage réellement consacré à l’engagement culturel et social de cet artisan. Sous couvert d’éloge affectueux, Émile Bernard minore considérablement le rôle et la pertinence de son regard critique. En élargissant mes recherches, j’ai découvert que tous les artistes ayant fréquenté sa boutique – qui servait aussi de lieu d’exposition – reconnaissent au Père Tanguy un rôle primordial. Lors de son décès en 1894 l’écrivain et critique d’art Octave Mirbeau témoigna : L’histoire de son humble et honnête vie est inséparable de l’histoire du groupe impressionniste, lequel a donné les plus beaux peintres, les plus admirables artistes à l’art contemporain et lorsque cette histoire se fera, le père Tanguy y aura sa place. Cent-trente ans plus tard, constatons que ce n’est toujours pas le cas.
1825-1860 Trente-cinq ans en Bretagne
Dans la commune de Plédran, sans école à l’époque, la maison de Julien
Tanguy, proche d’une petite vallée profonde et tortueuse richement arborée
aurait pu inciter de nombreux impressionnistes à poser leur chevalet. Est-ce sa jeunesse dans cette nature animée de toutes les lumières de la Bretagne qui a développé chez lui cet attrait pour la peinture claire des impressionnistes, qu’il opposait au jus de chique de la peinture académique ? C’est donc dans ce cadre que Julien débute sa formation artisanale auprès de ses parents, à la fois paysans et tisserands, dont le métier à tisser est au cœur de la maison. Il pratique ensuite le métier de plâtrier, sur une durée suffisamment longue pour en découvrir les exigences qualitatives et la personnalisation des savoir-faire.
1860-1867 Oser partir à Paris
La troisième expérience professionnelle est inattendue. Il devient broyeur de couleurs chez Édouard, un des meilleurs ateliers de Paris. Métier complexe, exigeant où il se familiarise avec les particularités des pigments colorés : leur opacité, leur intensité, leur transparence, conjuguées à celles des liants. La maîtrise de ce métier nécessite du temps et un bon esprit d’analyse. Il attend sept ans avant de s’installer à son compte à Montmartre. En allant livrer les peintres qui travaillent sur le motif en bords de Seine, il observe comment chacun d’eux élabore sa propre alchimie des couleurs dans l’espace contraint du tableau. Il constate leurs mélanges singuliers qui amplifient la gamme sensorielle lumineuse, leurs attachements à certaines matières, certains coups de pinceau… Il voit naître leurs différences de style, d’écriture. Il les écoute aussi échanger non seulement sur leur savoir-faire mais surtout sur le lien entre savoir-faire et savoir-être qui révèle le tempérament, affirme Cézanne De nombreux témoignages, comme celui de Renoir, évoquent la participation de Tanguy aux discussions et ses appréciations sur les œuvres : Où avez-vous vu que les tons plats alourdissent la transparence ? Ce sont là encore des idées du père Tanguy ! Il est intégré dans cette famille d’artistes intellectuels