Peindre le désir de rivage
Pendant notre enfance, dès l'arrivée des beaux jours, nous prenions la direction de la côte. Fille du bord de mer « expatriée » à la campagne par les nécessités de la vie , notre mère n'imaginait pas d'autres destinations de promenade. Dès que cela m'a été possible, je me suis à mon tour, naturellement rapproché du rivage pour vivre et travailler au quotidien. Le désir de rivage se confirmait mais il se confondait désormais avec une nécessité de peinture
J'avais l'intuition profonde que cette double proximité influerait sur ma façon d'être et donc sur ma démarche artistique. Le fait de me trouver parfois sur le rivage, face au vide et à l'infini, parfois au coeur des vagues, a progressivement multiplié mes lieux de perception. J'y étais obligé car la mer en baie de Saint Brieuc se retire très loin, c'est un espace mouvant. Ceci s'est aussi imposé dans l'espace du tableau Les notions changeantes de distance, de directions, de quantités et qualités sensorielles des couleurs, de cohérence globale doivent être prises en compte au plus près de la réalité sous peine de trahir l'essence même du sujet, le germe de l'émotion. Comment articuler, moduler tant de vitalités picturales subtiles en évitant l'excès de mollesse ou? de dureté? Il m'a fallu retourner vers Cézanne, ré interroger ses rapports dessin /couleur uniques, mieux comprendre ses exigences, sa quête obstinée. La notion de modulation spatiale colorée s'est précisée pour devenir plus juste. J'ai du adapter ma technique des superpositions colorées légères, transparentes parfois, pour resserrer le lien avec un dessin plus structurel. Quel défi de peinture, quel plaisir de travail, loin des formules spatiales toutes faites, indéfiniment réutilisables quel que soit le sujet !
Je n'y suis pas seul; de nombreux peintres ont été et sont encore fascinés par ce même sujet de la mer et des rivages, souvent sans lien originel avec leur enfance. Ce sont notamment tous ceux qui , au-delà des signes, cherchent une relation avec leur espace intérieur, une forme de respiration essentielle pour leur présence au monde.
Cette respiration est une conquête qui nécessite une mise en ordre de notre complexité, entre connaissances et comportements sensoriels et éthiques, entre le trop plein et le vide; une respiration que beaucoup de gens ressentent spontanément face au rivage sans pouvoir ou sans chercher à l'identifier, une respiration qui se révèle aussi être parfois leur première réaction devant certaines peintures.