Coqs et poules

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Tout le monde sait ce qu'est une poule !

Alors qu'il était l'un des représentants les plus talentueux des artistes surréalistes, Giacometti avait opté pour un retour à la figuration en sculptant, dessinant, peignant inlassablement des têtes, des portraits. Cela lui valut le désaveu esthétique de l'écrivain théoricien André Breton qui s'autorisera ce commentaire désabusé : "tout le monde sait ce qu'est une tête".

Vers 1970, alors que j'étais insatisfait de ma peinture figurative, mes amis étudiants aux Beaux-Arts me conseillaient d'opter pour la nouvelle aventure de l'abstraction afin de libérer ma créativité ! Bien sûr les vitalités colorées abstraites de Roger Bissière me concernaient, mais tout autant que l’œuvre figurative de Giacometti, ou les dessins à l'encre du Chinois Chu Ta. Ces comportements abstraits et figuratifs pouvaient- ils se concilier dans mon travail ?

Jeune peintre, j'avais dessiné des poules et des coqs, des dessins descriptifs, simplement documentaires, que je me refusais à styliser pour leur donner un cachet artistique.

Quelques années plus tard, assis par terre dans la cour de ferme de mes beaux-parents, à hauteur des poules et coqs en liberté, l'envie de les redessiner, de me réinterroger s'est imposée, Je devais contester la banalité de ma perception. Car, comme André Breton, j'aurais très bien pu me dire : " tout le monde sait ce qu'est une poule".

A cette époque, je travaillais beaucoup sur la présence picturale du corps humain, des nus, des marcheurs. Dans cette cour de ferme, j'ai pressenti le caractère d'une autre figuration de présence vivante, tout aussi riche et respectable. La diversité des formes et couleurs, l'articulation structurale des directions spatiales et l'équilibre dynamique, surprenant, de cette nouvelle complexité sensible m'obligeaient à approfondir l'unité singulière requise pour chaque peinture. Je n'étais pas « entré en peinture » pour fuir cela, bien au contraire. J'étais prêt et disponible pour vivre l'aventure de la « vérité du sentir» que favorise l'art, comme l'avait analysé Henri Maldiney, philosophe de la création.

Par chance, bien avant la lecture de Maldiney et mon engagement artistique, j'avais appris à faire confiance au sentir dans ma première formation de boulanger, un artisanat du vivant. Lors de la fabrication du pain, le sentir constituait notre repère essentiel pour gérer la complémentarité énergétique des composants que nous appelions « la force ». Respectueux de mes intuitions, j'étais une nouvelle fois confronté à une riche et impressionnante complexité, celle du monde visible. Ressentir et assumer de nouvelles tensions du dessin et des couleurs s'imposera loin des critères conceptuels, culturels voire idéologiques.

J'avais identifié la base fondatrice du renouvellement de ma peinture, de ma façon d'être.