Textes Repères

Textes Repères

Mes lectures ont rarement précédé les questions que me posait la peinture. J'ai par contre repéré des textes qui m'ont conforté dans la sensation qu'elle m'en posait de bonnes ! Ces écrits m'encourageaient à poursuivre le face à face de ma façon d'être, en formes et en couleurs, dans notre monde si complexe. Je me sentais moins esseulé. En voici quelques-uns:

Olivier Debré : L'espace et le comportement. Édition l'Echoppe – extrait


L'idée de l'espace et le comportement de l'homme sont toujours liés.

Le concept de l'espace varie beaucoup suivant l'idée que l'on s'en fait et que l'on se fait de soi-même.

La définition de l'espace est celle de l'être et inversement.

L'homme se réfléchit dans l'espace et l'espace conçu le façonne en retour. La science, autrefois la religion, le définit; ( les mathématiques en inventant d'innombrables).

La peinture en donne l'image ; elle en a trouvé de nombreuses.

Jackie Pigeaud : L'art et le vivant. Essai Gallimard – extrait


Très tôt le mystère de la forme du vivant et de l'harmonie qui s'y marque a intrigué l'Occident. Très vite s'est imposée la comparaison du vivant avec l'art, comme s'est posé le problème de l'irruption du monstrueux dans la nature, quand l'art est l'univers du parfait.

Pour répondre à ces questions, médecins, poètes, philosophes et artistes, mêlant littérature et anatomie, esthétique et géométrie, botanique et morale, inventèrent un nouveau mode de pensée : la rêverie culturelle. Platon, Pline l'ancien , Cicéron, Virgile, Longius, Galien, Polyclète rêvèrent hors des catégories arrêtées de l'entendement, au-delà des concepts figés de leurs disciplines ; ils saisirent la fluidité des choses naissantes, la labilité du monde en formation. Entre ce que Valéry appelait « le vide et l'événement pur », dans cette indécision du temps et de l'espace où surgit la forme, déjà discernable et dicible, pas encore fixée, ils pensèrent la création en songeant à la graine et à la plante, au levain et à la pâte, à la présure et au fromage, à la semence et à la grefe.

Corine Pelluchon : Ethique de la considération (Seuil)

Extraits d'interviews


La considération nous aide à rester humain dans un monde inhumain. L'éthique de la considération s'adresse à celles et ceux qui préparent « l'âge du vivant » qui représente ce que peuvent être les lumières aujourd'hui, à un moment où leur idéal civilisateur est menacé par une forme décomplexée de nihilisme dont nous avons des exemples ça et là.

Corine Pelluchon définit la considération par la transdescendance. Celle ci désigne un mouvement d'approfondissement de soi même permettant au sujet d'éprouver le lien l'unissant aux autres vivants et de transformer la conscience de son appartenance au monde commun en savoir vécu et en engagement.

Remarque personnelle Il m'a semblé trouver dans la lecture de son livre un écho de mespréoccupations intuitives de peintre , encouragé par les exemples de nombreux et illustres prédécesseurs tels Jean- Baptiste Corot , Roger Bissière et Michel Carrade

François Cheng : Cinq méditations sur la beauté – Albin Michel

Une beauté qui ne serait pas fondée sur le bien est-elle encore belle ? Intuitivement nous savons que distinguer la vraie beauté de la fausse fait partie de notre tâche.

Autres lectures stimulantes


Anne Dufourmantelle, la puissance de la douceur, Payot et Rivages

Alexandre jollien. La construction de soi. Seuil

L'ÉCOLOGIE ET L'ESTHÉTIQUE DES LIMITES

Le choix d'une discipline est de fait le choix d'un défi. Il s'agit d'affronter les contraintes d'un espace limité pour interroger la complexité de notre rapport au monde réel et d'en témoigner. Dans le meilleur des cas le défi conduit à obtenir une forme de présence vitale, de transcendance.

Aujourd'hui, beaucoup d'artistes perçoivent ces contraintes - pour un peintre, celle du rectangle d'un tableau - comme une convention dépassée? Ils croient faire preuve de liberté de pensée et de comportement, de modernité, en les refusant. Parfois une forme d'aboutissement est abandonnée avec la justification de laisser l'oeuvre ouverte, mais ouverte sur quoi ? J'ai tourné le dos à cette attitude qui me semblait engendrer une liberté illusoire. Je préfère la liberté conquise à celle auto-attribuée. Elle interroge plus profondément notre comportement, nous oblige à le réviser si, en dépassant le niveau narratif, on cherche à faire naître l'unité dynamique et significative d'un ensemble de signes. La fonction de l'oeuvre d'art n'est-elle plus de stimuler les regardeurs vers d'autres possibles, plus exigeants, plus exaltants que la banalité quotidienne, sans pour autant devenir des espaces fermés, des mondes clos ?

Sur un autre plan, nous atteignons historiquement une situation écologique qui nous rappelle brutalement les limites de notre planète, la prise en compte urgente des contraintes qu'elles imposent, alors que l'homme dominateur s'est cru tout permis au nom d'une conception égoïste et irresponsable de la liberté. Cette conception s'est récemment accentuée et n'est sans doute pas sans cousinage avec certains comportements artistiques . Je suis engagé dans des actions de protection de l'environnement, parallèlement à mon activité artistique, ce qui aurait pu m'inviter à rejoindre des initiatives militantes politico-esthétiques pour rendre plus visibles ces préoccupations en les esthétisant. Il me semblait pourtant que cela aurait conduit à réduire considérablement le champ de mes préoccupations de peintre. La peinture permet d'interroger son rapport au temps et à l'espace, d'expérimenter de nouveaux comportements et de constater de visu leurs conséquences. Au-delà du thème et de l'iconographie utilisée, le fait de mieux respirer, de se sentir stimulé ou par contre d'étouffer dans un espace peinture est très significatif d'intérêt ou de rejet . Même si les comportements qui ont généré ces différences profondes sont plus complexes et délicats à expliciter. J'ai décidé de privilégier cette dimension, ce strict champ de la peinture, sans tabou de contemporanéité.

J'ai alors regardé avec plus d'attention et moins de mépris certaines [[oe]]uvres souvent cataloguées comme conventionnelles ou, historiquement dépassées, en m'interrogeant sur les comportements et non la vision du monde qui les avaient engendrées. J'y ai trouvé des propositions très stimulantes qui dépassaient l'illustration d'un concept, d'une intention ou d'un narcissisme esthétique. Au moins pouvais-je apprécier la singularité réelle de ces démarches, leurs formes d'aboutissement, liant esthétique et éthique.

J'y ai perçu une équivalence du contexte de contrainte et d'exigence que les individus et les sociétés vont devoir affronter sur notre planète sans se masquer des réalités qui sont les conséquences de nos actes. Sommes-nous par exemple condamnés à une vitalité de la violence ? Ce parallélisme, que certains jugeront naïf, inviterait peut-être à refonder les critères d'évaluation des oeuvres, du rôle des artistes. Ce rôle ne serait pas, comme le sous-entend la volonté de démocratisation culturelle douce et consensuelle de surprendre, de distraire ou d'enchanter une société par ailleurs décadente et suicidaire, mais de contribuer à réinterroger nos comportements éthiques, individuels et collectifs.

Faut-il rêver ou se contenter comme le peintre Roger Bissière de « continuer à peindre pour ne pas désespérer » ? (réf. livre chap : de l'image à la présence renouvelée)